Cinéma et Folie, d'une singularité à l'autre : l'aventure des Marx Brothers
[accueil]  [préambule]  [fascicule 1]  [fascicule 2]  [fascicule 3]  [fascicule 4]  [fascicule 5]  [fascicule 6]  [fascicule 7]
 
 
 
   
 
   
 
Madame Teasdale
     
     
             
         
 
       
Salle de réception (intérieur soir)

Firefly attend, placé dans la haie d'honneur, alors que l’hymne est entonné par tous les invités. Madame Teasdale, installée de l'autre côté, une grande plume à la main, l'aperçoit soudain.

— Oh ! Votre Excellence ! s’exclame Mme Teasdale qui le rejoint aussitôt pendant que les gardes et les danseuses dirigent leurs regards vers Firefly. Nous vous attendions. En s’approchant, Mme Teasdale tend la main à Firefly qui fait un pas en avant pour la lui prendre. En tant que présidente du Comité de Réception, je voudrais vous faire part des bons vœux de chaque homme, femme et enfant de Freedonie déclare-t-elle d'un ton solennel avant de lâcher la main de Firefly.
— Laissez tomber. Prenez une carte
répond Firefly en sortant un paquet de cartes à jouer.
— Une carte ? Que ferais-je d'une carte ?


Firefly lui présente les cartes disposées en éventail et, après que Madame Teasdale en a choisi une, remet les cartes restantes en paquet.

— Vous pouvez la garder. Il m'en reste cinquante et une. Alors que disiez-vous ?
— En tant que présidente du comité de réception, je vous accueille les bras ouverts reprend-elle d'un ton officiel.
— C'est bien cela ! Jusqu'à quelle heure restez-vous ouverte ?
— J'ai parrainé votre nomination parce que je pense que vous tenez une grande place en Freedonie dit-elle après avoir été un peu décontenancée par la question de Firefly.
— Eh bien cela couvre une grande surface ! dit Firefly et, l'observant des pieds à la tête, il enchaîne. Dites-moi, vous couvrez une grande surface vous-même ! Faut le dire ! J'ai entendu dire qu'ils allaient vous abattre pour construire des bureaux à la place. Vous pouvez partir en taxi poursuit-il sans reprendre son souffle. Si vous ne prenez pas de taxi, vous pouvez partir en hâte. Si c'est trop tôt, vous pouvez filer dans une heure et demie. Vous savez que vous n'avez pas cessé de parler depuis que je suis arrivé ? Vous avez dû être vaccinée avec l'aiguille d'un phonographe.
— L'avenir de la Freedonie dépend de vous. Promettez-moi de suivre la voie tracée par mon mari reprend, sans se laisser démonter et d'un ton emphatique, Mme Teasdale.
— Qu'est-ce que vous en dites ? se demande en aparté Firefly. Cela ne fait pas cinq minutes que j'ai ce travail et déjà elle me fait des avances… Ce n'est pas que cela m'intéresse, mais où est votre mari ? demande-t-il en se tournant vers Mme Teasdale.
— Eh bien, il est mort.
— Je parie qu'il s'en sert comme excuse.
— Je suis restée avec lui jusqu'à la dernière minute.
— Pas possible ! Cela ne m'étonne pas qu'il ait trépassé.
— Je l'ai pris dans mes bras et je l'ai embrassé réplique d’un ton langoureux Mme Teasdale.
— Alors c'était un meurtre ! Voulez-vous m'épouser ? Vous a-t-il laissé de l'argent ? Répondez d'abord à la deuxième question.
— Il m'a laissé toute sa fortune.
— C'est bien cela ! Ne voyez-vous pas ce que j'essaye de vous dire ? Il prend Mme Teasdale par les mains et tourne autour d’elle. Je vous aime poursuit-il d'une voix mielleuse.
— Oh, Votre Excellence s'écrie Mme Teasdale aux anges.
— Vous n'êtes pas si mal vous-même surenchérit Firefly en roulant des yeux et soulevant ses sourcils.
       
 
       
   
   
       
 
       
Salon de madame Teasdale (intérieur jour)

Madame Teasdale est en train de faire les cent pas, dans un état de grande fébrilité. Elle tourne autour d'un fauteuil disposé au centre de la pièce. À son insu, Firefly entre dans la pièce et se met à la suivre pour s'arrêter à la hauteur du fauteuil et s'y asseoir. Madame Teasdale revenant sur ses pas, remarque enfin Firefly.

— Oh ! s’exclame surprise Mme Teasdale.
— Comment êtes-vous entrée ? demande Firefly.
— Oh, Votre Excellence, je suis tellement désolée de devoir vous déranger dit Mme Teasdale en se penchant vers Firefly confortablement installé dans le fauteuil. Me le pardonnerez-vous jamais ?
— Et quand je partirai d'ici ce soir, me le pardonnerez-vous jamais ? Il se lève et tend à Madame Teasdale une enveloppe. Voici les plans de bataille. Ils sont aussi précieux que votre vie, ce qui les rend assez bon marché. Surveillez-les comme une chatte surveille ses petits. Avez-vous déjà eu des petits ? Non, bien sûr. Vous êtes trop occupée à courir un peu partout pour jouer au bridge. Madame Teasdale serrant nerveusement les plans dans sa main, prend un air étonné. Ne voyez-vous pas ce que j'essaye de vous dire ? poursuit Firefly en la prenant dans ses bras. Je vous aime. Pourquoi ne m'épouseriez-vous pas ? lui demande-t-il en lui prenant les mains.
— Pourquoi vous épouserais-je ?
— Prenez-moi avec vous, et moi je prendrai des vacances. Je vais avoir besoin de vacances si on se marie. Main dans la main, ils prennent une pose romantique, leurs têtes se touchant, l’une contre l’autre. Mariés ! Je vous vois dans la cuisine dès maintenant, penchée au-dessus d'un fourneau dit-il d’un ton doucereux. Mais du coup, je n'arrive plus à voir le fourneau ! Allons, allons… Dites « oui » et vous ne me reverrez plus jamais… se récrie-t-il soudainement en élevant la voix.


Ils se dirigent tous les deux vers le canapé placé derrière le fauteuil et s’assoient.

— Gloria !… dit Firefly d’un ton de nouveau doucereux en enlaçant Mme Teasdale.
Il croise les jambes et attire Madame Teasdale vers lui en adoptant un visage béat.
— Rufus, à quoi songez-vous ? demande Mme Teasdale ravie.
— Oh, je pensais seulement à toutes ces années gâchées à collectionner les timbres répond Firefly en haussant les épaules plusieurs fois.
— Oooooh !… éclate en riant Mme Teasdale.


Firefly s'écarte alors de Madame Teasdale et se penche en avant.

— Oh… euh… Je suppose que vous allez me prendre pour un vieux benêt sentimental enchaîne-t-il avec timidité. Mais… euh… accepteriez-vous de me donner une mèche de vos cheveux ?
— Pourquoi ? Je ne m'attendais pas… se demande Mme Teasdale, surprise et un peu gênée.
— Vous vous en tirez bien. J'allais vous demander toute la perruque lui rétorque-t-il d’un ton ferme.