Cinéma et Folie, d'une singularité à l'autre : l'aventure des Marx Brothers
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  1. Harpo et moi, Harpo Marx, avec la collaboration de Rowland Barber, traduit de l'américain par Jean Paradis et Alex Beck, Scarabée et Compagnie, 1983. Édition originale : Harpo speaks! published by Bernard Geis Associates, New York, 1961.
2. Clément Rosset dans Principes de sagesse et de folie s'appuie sur les paroles de Parménide pour étayer son approche de l'existence, de l'être, de la réalité. « La formule de Parménide – “ce qui existe existe, ce qui n'existe pas n'existe pas” – peut être considérée comme une définition de l'existence, à prendre le terme de définition en son sens premier et seul propre de délimitation. Definire signifie délimiter, borner, tracer des frontières. C'est en ce sens que Parménide “a défini” l'existence : celle-ci est bornée, selon le temps, par les limites du passé et du futur ; selon l'espace, par les limites de l'ailleurs. Cette définition de l'existence entraîne, du point de vue psychologique, un certain nombre de conséquences marquantes dont l'intérêt est autant philosophique que psychologique dans la mesure où les divers “sentiments” qu'on peut avoir de l'existence en tant que telle sont des miroirs qui en reflètent de façons diverses le caractère principal, défini par la formule de Parménide. » Ainsi il dégage trois modes d’appréhension affective du sentiment de l’existence qui sont le mode de la jubilation, de la nausée et de la surprise. Mais auparavant, avant d’analyser ces trois modes particulièrement évocateurs pour le philosophe, en raison de leur caractère intense, il s’interroge sur le sentiment de l’existence. Ce dernier « quelle que soit sa modalité affective, est de toute façon indifférent à la nature de la chose qui existe, sensible qu’il est au seul fait que cette chose, quelle qu’elle puisse être, existe ». « Le sentiment qu’existe une certaine chose s’efface devant le sentiment que cette même chose existe. » indique le philosophe. « Il va de soi que ces deux sentiments, s’ils sont différents, ne s’opposent nullement et tendent même à se confondre. Mais ils sont différents en ceci qu’on ne peut confondre tout à fait la perception d’une chose qui existe avec le sentiment que cette chose existe […] » poursuit-il. Il en déduit après avoir fait cette distinction et seulement par rapport à elle que « le sentiment de l’existence peut être décrit comme coup de foudre, comme sentiment fulgurant d’une présence » et à cette seule condition c’est-à-dire « de ne pas faire de distinction entre le présent et sa propre présence ». Ainsi elle le constitue. « Il n’est, il n’a jamais été, ni ne sera jamais, de présence que du présent. » conclut-il. En conséquence, le sentiment jubilatoire de l’existence, l’un des modes d’appréhension sur lequel s’attarde le philosophe, consistant à « se sentir exister, à sentir exister les choses autour de soi », à « une sorte de pure dégustation d’existence », évoquerait un « plaisir fondé moins sur la considération de la nature des choses qui existent que sur celle du fait de leur existence, sur la pensée qu’“il y a” de l’existence ».
3. Du latin, magnificus, « qui fait de grandes choses ».
4. « Il est possible en effet que la distinction que nous opérons spontanément entre objet courant et objet inhabituel nous aide à comprendre cette autre distinction qui fait de tout objet deux objets très différents selon que nous le considérons comme l’objet qu’il est ou un objet qui existe. »
5. « Le mot même d’insolite m’en dit à la fois plus et moins : il me suggère bien quelque chose de rare, mais c’est d’une rareté spéciale et incisive qui ne se résume pas à une simple contre-performance dans l’évaluation statistique de la fréquence des êtres. » écrit Rosset. Après s’être attardé sur la caractéristique – « principale et constante » – d’un objet insolite, qui est « de trancher avec l’ensemble des objets parmi lesquels il figure, d’y faire si je puis dire cavalier seul, d’y apparaître étrange et surajouté », il le distingue naturellement d’un objet banal : « Un objet normal se reconnaît à sa connaturalité avec les objets qui l’entourent, un objet insolite à son impossibilité de s’y apparenter. » Leur juxtaposition entraîne ainsi un « phénomène qui ressemble à la superposition de deux mondes parallèles » et l’amène à souligner qu’« il semble n’y avoir pas d’objet insolite en soi ; plutôt des sphères d’existences parallèles telles que, l’une étant donné, tout objet qui n’y appartient pas y fait figure d’insolite, et réciproquement ». « L’objet insolite n’est pas extraordinaire par lui-même, mais par son introduction subreptice à l’intérieur d’une enceinte où il est inconnu et généralement indésirable. » poursuit Rosset. « Il signale moins sa propre existence que la relative indépendance des différentes sphères d’existence qu’il réussit à mettre en contact imprévu » conclut Rosset qui retient finalement que « l’objet insolite témoigne moins, en première analyse, de l’étrangeté de son existence que de l’incongruité de certaines “co-existence” ».
6. « …rien hors du monde qu’on puisse considérer comme origine du monde » s’enquiert Rosset. À cet égard, prenant l’exemple de la musique, Rosset voit en elle « un certain objet insolite, à la fois familier et déconcertant, qui présente la particularité de trancher avec toutes les autres sphères d’existence, quelque dépendantes ou indépendantes qu’elles puissent être les unes des autres ». Celle-ci, par ses caractéristiques, peut assurément aider à élucider la nature de la surprise suscitée par le fait de l’existence en tant que telle. « … rien dans le monde qu’on puisse considérer comme origine de la musique » ajoute-t-il en substance à sa perception du monde en général et de l’ensemble des choses. Il poursuit : « Musique et monde ont en commun de ne se recommander d’aucune cause extérieure à eux-mêmes, de ne reposer sur aucune assise et, comme le disent les chimistes de certains corps, d’exister à l’état libre ». C’est pourquoi, la musique serait comme la « quintessence de la réalité, le modèle d’existence qui évoque de la façon la plus aiguë le mystère de toute existence ». Pourtant si la musique « n'exprime rien d'autre qu'elle-même » et partage ce trait avec le monde, le « cas du monde est […] plus singulier encore que celui de la musique ; puisque, si la musique constitue pour sa part une existence parallèle à toute forme d'existence connue, le monde constitue quant à lui une existence indépendante en un sens plus radical, n'étant si je puis dire parallèle à rien ».
7. Clément Rosset, Principes de sagesse et de folie.
8. Alexandre Woollcott, critique au Sun, deviendra un inconditionnel de l'univers des Marx après avoir assisté à la représentation de la pièce I'll Say She Is en 1924 à Broodway, leur premier grand succès.
9. « “Qu'est-ce que c'est ?” et “qui est-ce ?” sont les deux grandes questions de la peur. » écrit Clément Rosset dans Le philosophe et les sortilèges. Rosset développera dans cet ouvrage ainsi que dans L’objet singulier une approche originale de la notion de peur.
10. « Il est évident que la peur a toujours partie liée avec l’imagination, dont elle est même un des plus remarquables effets trompeurs. Le simple fait que la peur soit d’abord concernée par l’irréel démontre que l’imagination d’un mal l’emporte en puissance d’effroi sur l’épreuve directe du même mal […]. La peur est moins une angoisse provoquée par ce qui existe, angoisse à laquelle l’événement même peut se charger de porter remède, qu’une inquiétude forcément inapaisable à l’égard de ce qui n’existe pas. » Clément Rosset, Le philosophe et les sortilèges.
11. Clément Rosset, Le philosophe et les sortilèges.
12. « Par allégresse nous entendons, strictement et seulement l’amour du réel : c’est-à-dire ni l’amour de la vie, ni l’amour d’une personne, ni l’amour de soi, ni à supposer qu’il existe l’amour de Dieu – tous amours que l’amour du réel implique mais auxquels il ne se limite pas et qui, surtout, ne le conditionnent en aucune manière. Par rapport à l’amour du réel, de tels attachements sont circonstanciels, c’est-à-dire que leur défaut ne saurait en aucun cas le remettre en cause. Si la vie est défaillante en son propre corps, s’il n’y a plus à l’horizon de personne aimée, si Dieu n’existe pas plus que, fondé en lui, un principe de raison suffisante appelé à rendre compte de toute réalité, l’allégresse, si allégresse il y a, n’en a cure. » Clément Rosset, Le réel, traité de l’idiotie.
13. Clément Rosset, Le philosophe et les sortilèges.
14. Ibid.
15. Ibid.