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La
querelle
des philosophes |
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À la
question pourquoi l’« effet de réel » se
révèle-t-il un motif d’angoisse, Rosset répond
qu’« il faut simplement tenir compte du rôle
tenu par le réel dans la représentation que s’en
fait chacun et à chaque moment. » Ce rôle tenu
par le réel est dramatique car « Lorsque l’effet
de réel est un effet de peur, il y a lieu de penser que le
réel dont on éprouve alors l’effet a de bonnes
raisons d’être tenu pour indésirable. Ce qui terrifie
est bien le réel : pas seulement en tant qu’il est singulier,
mais aussi en tant qu’il lui advient d’être terrifiant
par sa singularité même, dès lors que celle-ci
est, pour celui qui y est confronté, une menace sans appel
(puisque sa singularité interdit par principe d’en appeler
à l’autre pour en esquiver l’événement).
»
Cette précision, en rappelant la distinction entre la crainte
occasionnée par le réel et l’« irréel
», même si les deux se ramènent à une même
crainte du réel, met l’accent sur la « singularité
[1] » du réel.
Dans L’objet singulier, Rosset explore les aspects
du singulier, équivalents aux aspects du réel. Se mettre
à la recherche du réel revient pour le philosophe à
décrire les aspects du singulier. Ces « excursions »
comme il les désigne – excursions ou « sorties
» en dehors des sentiers de la représentation –,
s’élaborent à partir de deux principes [2] qui
jalonneront son analyse, le renseignant sur le statut du réel
lui-même. Ce dernier, en définitive, ne s’autoriserait
d’aucun garant autre que lui-même [3], le rendant dès
lors paradoxal quant à sa vraie nature [4].
1. « Le singulier est en effet l’unique avant d’être
l’insolite, l’étrange, l’idiot (idiotes).
Précisons-le encore une fois : il n’est pas unique en
tant qu’il serait insolite ou étrange, mais insolite
et étrange en tant qu’il est unique. Or nous savons que
la catégorie de l’unique embrasse le domaine du réel,
tout comme celle du double le domaine de l’irréel. Dire
d’un objet qu’il est “singulier” revient à
dire que cet objet existe, qu’il est réel. » Clément
Rosset, L'objet singulier.
2. Le premier principe s’énonce ainsi : « plus
un objet est réel, plus il est inidentifiable »
mettant en exergue l’assimilation du réel au singulier
et le caractère non repérable de toute singularité
; et le second qui en découle : « plus le sentiment
du réel est intense, plus il est indescriptible ».
Clément Rosset, L'objet singulier.
3. « Car en tant qu’il est singulier, le réel est
ce qui ne s’autorise d’aucun garant autre que lui-même,
ne se justifie d’aucune façon et est par conséquent
hors d’état de jamais se laisser attendre en tant que
tel : puisque constituant une présence qui ne s’annonce
d’aucun attendu, dans le double sens du terme. Le sentiment
d’un tel réel est ainsi rien moins que quotidien (il
implique au contraire une dissipation de toutes les représentations
quotidiennes et une irruption, en leur lieu et place, de l’improviste,
de l’imprévu). » Clément Rosset, L'objet
singulier.
4. « Mais en se dévoilant, l’objet réel
se révèle en même temps comme problématique
: aussi péremptoire quant à son existence qu’il
est peu renseignant quant à son identité – en
sorte que la résistance qu’il oppose à l’analyse
apparaît comme le signal le plus sûr de sa riche teneur
en réel, la marque indubitable de sa vérité,
telle une signature illisible qui en viendrait à authentifier
un objet par le certificat de son illisibilité même.
» Clément Rosset, L'objet singulier. |