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L'ivrognerie
selon Clément Rosset dans Le réel, traité
de l'idiotie « peut être invoquée comme une
des voies d'accès possible à l'expérience ontologique,
au sentiment de l'être ». Se démarquant de l'image
traditionnelle que véhicule l'ivrogne et de sa réputation
à voir « double », Rosset prend le contre-pied
et souligne la particularité de la perception « ivrogne
» du réel. « Tout au contraire : l'ivrogne perçoit
simple, et c'est plutôt l'homme sobre qui, habituellement, perçoit
double. L'ivrogne est, quant à lui, hébété
par la présence sous ses yeux d'une chose singulière
et unique qu'il montre de l'index tout en prenant l'entourage à
témoin et bientôt à partie si celui-ci se rebiffe
[…] Une chose toute simple, c'est-à-dire saisie comme
singularité stupéfiante, comme émergence insolite
dans le champ de l'existence. […] Mais ce que perçoit
l'ivrogne est avant tout la chose saisie dans sa singularité
même, c'est-à-dire une unicité qui contribue à
la faire apparaître à la fois comme prodige – et
c'est pourquoi il vocifère et attire sur elle l'attention des
passants – et comme phénomène inconnaissable,
incompréhensible. La chose est tellement unique, se suffisant
à elle-même et se renfermant en elle-même, qu'il
lui manque précisément tout autre chose à partir
de qui l'interpréter ; elle est cela et rien que cela, là
et rien que là. À la limite il est même impossible
de la voir et c'est précisément là ce que “voit”
l'ivrogne : que son regard restera, comme toute chose au monde, étranger
à ce qu'il voit, sans contact avec lui. » |
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