Ah !
c'est la seule façon de voyager les gars la seule façon...
… Au fond de la cale, entourés d'amoncellements
de sacs et de nombreuses piles de cartons, se distinguent
dans la pénombre quatre tonneaux. Pendant que s'échappent
des tonneaux des voix fort peu mélodieuses, se laisse
progressivement deviner une inscription sur chacun des quatre
tonneaux : Harengs fumés.
— « Dans tous mes rêves…
— Dans tous mes rêves…
— Ton doux visage rayonne… Tu es l'idole de mon
cœur… Douce Adeline…
— Douce Adeline… »
Les couvercles des tonneaux s'ouvrent laissant apparaître
quatre hommes. Ravis de pouvoir enfin sortir et semble-t-il
satisfaits de leur prestation, ils saluent un public imaginaire.
L'un deux, prenant le couvercle qu'il tient à la main
comme miroir se refait, à l'aide d'une brosse à
habit, la coiffure et, après un geste de dépit
à l'encontre de ses voisins, regagne son tonneau et
en referme le couvercle.
— Ah ! c'est la seule façon
de voyager, les gars, la seule façon…
Un autre tient à la main un livre qu'il referme aussitôt
pour prêter une oreille attentive à ce que disent
ses deux compagnons.
— … j'allais emmener ma
femme et mes gosses mais l'épicier n'a pu me filer
un tonneau de plus dit l'un tout en se brossant les dents,
une tasse remplie d'eau à la main.
— J'allais emmener mon grand-père, mais il n'y
avait plus de place pour sa barbe lui rétorque l'autre
en train de se faire les ongles.
— Pourquoi ne pas expédier ce vieux porc et laisser
sa barbe suivre ? lui répond-il après avoir
cessé de se brosser les dents.
— J'ai expédié la barbe.
— Ouais, elle arrive par postiche aérienne !
— Chuttt… fait celui qui tenait un livre à
la main. Dites, les gars, j'ai l'impression que j'entends
quelqu'un !
— Eh bien si c'est le capitaine, j'aurais deux mots
à lui dire. Cela fait trois jours que mon eau chaude
est froide et je n'ai pas assez de place là-dedans
pour faire tournoyer un chat par la queue ! En fait je n'ai
même pas de chat !
— Mon grand-père sait les faire tournoyer.
— Ah oui ?
— Hé, ce serait un bon boulot pour lui !
— Oui.
Soudain se fait entendre la voix de Gibson.
— Allons les gars crie-t-il en ouvrant la porte de la
cale.
— Hé, voilà quelqu'un !
Aussitôt les trois hommes regagnent précipitamment
leur cachette. Deux d'entre eux referment les couvercles tandis
que celui qui était resté à l'intérieur
choisit ce moment pour sortir. Mais s'apercevant très
vite du danger il réintègre immédiatement
le tonneau. Quant au troisième qui avait laissé
son couvercle posé contre le tonneau, après
s'être relevé rapidement, s'en empare pour le
remettre à sa place, sous lui. Des bruits de pas retentissent
alors plus distinctement et apparaît Gibson suivi de
quelques officiers et de marins.
— Allons, grouillez-vous maintenant ! Écoutez,
les gars… nous devons trouver ces clandestins et les
mettre aux fers crie Gibson s'adressant aux hommes qui l'accompagnent. |